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Nouvelle parution aux presses universitaires de Grenoble

L’irrédentisme est une doctrine politique qui, à partir des années 1870 en Italie, revendique l’annexion de l’ensemble des territoires considérés comme italiens et demeurés en la possession de nations étrangères, en premier lieu l’Autriche-Hongrie. Cet ouvrage analyse ce concept et ce courant idéologique et politique souvent cité, mais mal connu en France. Il a également le mérite de considérer non seulement le point de vue italien, mais aussi celui austro-hongrois. Sont examinés le ressenti des populations irrédentes, c’est-à-dire les Italiens d’Autriche-Hongrie, les répercussions du phénomène irrédentiste sur les relations internationales de toute l’Europe, ainsi que son rôle dans la montée des tensions qui menèrent à la Première Guerre mondiale. Cet ouvrage, bien documenté, s’articule autour de trois parties : la situation des Italiens dans l’empire des Habsbourg après le Risorgimento ; la présentation des terres irrédentes, dans leur diversité, du Trentin à la Dalmatie en passant par Trieste ; l’irrédentisme comme pierre d’achoppement des relations entre l’Empire austro-hongrois et l’Italie, pourtant alliés.

Ouvrage disponible dès novembre 2023 :

L’irrédentisme-italien-dans-l’empire-austro-hongrois

Peter Kürten le vampire de Düsseldorf 1929-31 Troisième partie

Le 25 août, à Oberkassel, sur la rive gauche du Rhin, le Vampire s’en prit à Gertrude Schulte, une bonne de vingt-six ans. Mais, entendant des passants, il s’enfuit avant de l’avoir tuée.

Malheureusement pour l’enquête, la jeune domestique fit de son agresseur une description des plus fantaisistes, parlant d’un frêle blondinet de vingt, vingt-cinq ans. Alors que Peter Kürten, qu’elle avait pourtant vu de près, était un quadragénaire plutôt trapu aux cheveux châtain. Mieux (ou pire) : quand, sur son lit d’hôpital, on présenta à Gertrude Schulte la photo de Kürten, parmi celles de dizaines d’autres repris de justice, elle ne le reconnut pas.

Comme dans le film de Fritz Lang, la Police travaillait avec l’énergie du désespoir, multipliant contrôle et rafles. Peter Kürten fut plusieurs fois interrogé, mais ses papiers étaient parfaitement en règle. Et son aspect bourgeois et correct détourna les soupçons.

Kürten, comme tous les tueurs en série, vivait des « crises » où il commettait plusieurs agressions en l’espace de quelques jours, voire de quelques heures ; quand il n’avait pas trouvé de victimes humaines, il s’en prenait parfois à un animal1 pour satisfaire ses pulsions. Mais ces périodes de « crises » alternaient avec des pauses qui pouvaient durer plusieurs mois.

Ainsi, après une pause de quelques semaines, la kyrielle des victimes reprit. Le 29 septembre, ce fut la domestique Ida Reuter, égorgée. A l’aube du 11 octobre, le gardien d’un square trouva le corps, horriblement blessé, d’Elisabeth Dörrier, une semi clocharde qui se prostituait, occasionnellement. Elle mourut vingt quatre heures après avoir été recueillie à l’hôpital. Le 25 octobre, double attaque de Hubertine Meurer et de Klara Wanders, deux prostituées, qui survivront.

Et, le 7 novembre 1929, Kürten tua une petite fille, Gertrud Albermann, dont il déposa le corps sur le terrain vague qui longe l’usine Haniel & Lueg. Incroyablement, trois personnes différentes l’avait aperçu emmener la petite en la tenant par la main. Sans que personne n’intervienne. « La petite souriait, et lui avait tant l’air d’un citoyen comme il faut … »

Même si ce n’était pas forcément sa motivation première, Kürten appréciait énormément la publicité (anonyme), la psychose qu’il avait déclenchée. Au point qu’à partir du 9 novembre 1929, le Vampire de Düsseldorf cessa de faire des victimes : la petite Albermann devait être la dernière de la série. La brusque interruption déconcerta les autorités et ne fit qu’accroitre l’angoisse la population.

Mais que toute la ville ait peur de lui, qu’il soit question du Vampire dans tous les journaux d’Europe suffisait désormais à satisfaire ses besoins morbides. Adorant tenter le diable, Peter Kürten envoyait régulièrement des lettres anonymes aux journaux, à la police, donnant des détails ignorés des enquêteurs eux-mêmes, indiquant même où il avait laissé les cadavres … Mais, à sa grande frustration, ses lettres passèrent inaperçues dans le fatras de 11 000 lettres et dénonciations que l’affaire généra.

Le Vampire de Düsseldorf n’aurait sans doute jamais été pris, serait resté un autre Jack l’Eventreur de l’Histoire Criminelle, sans une incroyable cascade d’absurdités et de hasards.

Ayant repris sa carrière de dragueur compulsif, Peter Kürten jeta, le 7 mai 1930, son dévolu sur une certaine Maria Budlich, une petite bonne, débarquée de sa campagne à la recherche d’une place. Il l’emmena dans sa mansarde de la Mettmannerstrasse, en l’absence de sa femme. Il la brutalisa et, pour s’amuser à lui faire peur, lui dit d’une voix terrible : « Le Vampire que recherche toute la ville c’est moi ! Mais n’en dis pas un mot à personne, ou je te coupe le cou ! » La petite bonne, acquiesça terrifiée.

La naïve Maria était bien trop épouvantée pour s’adresser à la Police. Elle ne put toutefois pas s’empêcher d’écrire ce qui s’était passé à sa meilleure amie. Mais comme elle avait mal orthographié l’adresse, la lettre resta à la poste, où on l’ouvrit. Et le brave fonctionnaire qui la lut s’empressa de porter la lettre à la Police. Ces messieurs l’accueillirent avec scepticisme : ils avaient déjà suivi tant de fausses pistes, et celle-ci ne leur paraissait guère sérieuse … Enfin, ils vérifièrent. Maria Budlich ayant retrouvé, non sans peine, l’immeuble de la Mettmannerstrasse et la mansarde où on l’avait emmenée, la Police se contenta de laisser au locataire une convocation (qui n’était même pas nominale …) à se rendre au commissariat.

En la trouvant, Kürten comprit qu’on était, enfin, sur ses traces. Il avoua tout à sa femme, médusée. Puis, il partit, annonçant qu’il allait se jeter dans le Rhin.

En fait, il passa deux jours à errer dans la ville. Et, l’après-midi du 25 mai 1930, il se laissa passivement arrêter, presque soulagé.

Kürten ne fit aucune difficulté à tout avouer2. Au contraire, il se vanta d’avoir commis plus de 80 assassinats, le premier dès l’âge de 9 ans … Mais seuls neufs assassinats (celui de la petite Christine Klein, qui remontait à 1913, et les huit victimes de l’année 1929), sans compter une vingtaine d’agressions, purent lui être attribués, sans risque d’erreur. Les psychiatres l’interrogèrent longuement, et conclurent à son entière responsabilité pénale. Kürten était certainement un pervers, amoral et totalement dépourvu d’empathie. Mais, étonnement intelligent, il était très maitre de lui-même et, face au risque d’être pris, il avait montré un sang-froid parfait.

Le procès, du 13 au 22 avril 1931, attira des journalistes du monde entier. L’accusé, qui appréciait beaucoup son rôle de vedette du crime, ne réclamait pas l’indulgence : « Les crimes que j’ai commis sont si atroces, ils me font tellement honte que je n’ose pas les excuser, de quelque manière que ce soit … Les experts n’ont pas à perdre de temps avec moi. J’ai mon libre arbitre, comme tout un chacun… Je sais bien que c’est la peine de mort qui m’attend. Je ne m’en plains pas.  » Kürten prenait d’ailleurs un tel plaisir indécent à détailler ses crimes, en rajoutant encore dans l’horreur, qu’on dut, plusieurs fois, le faire taire.

Le jury rendit, comme on s’y attendait, un verdict de mort. L’Allemagne de Weimar appliquait beaucoup moins la peine de mort que la France ou la Grande Bretagne de la même époque3. Mais Kürten renonça à faire appel et une grâce n’était pas envisageable. Le 1° juillet 1931 à 17 heures, dans sa cellule de Klingelpütz4, l’ex Vampire de Düsseldorf apprit qu’il n’avait plus que douze heures à vivre. Se découvrant, in extremis, un intérêt pour la Religion, il fit venir le Père Albrecht, un franciscain qu’il avait connu aumônier à la prison de Düsseldorf, pour assister ses derniers instants.

Il dîna de bon appétit et, durant la nuit, rédigea une dizaine de lettres. Pour sa femme ; mais aussi pour les familles de ses victimes, des lettres de quelques lignes pour exprimer son repentir, et leur demander de prier pour lui. Il n’est guère possible de déterminer dans quelle mesure Kürten était sincère, dans quelle mesure ces lignes ont été inspirées, voire dictées, par l’aumônier.

A cinq heures du matin, il assista à la Messe. Trente minutes plus tard, une demi-douzaine d’homme, en redingote et en haut de forme, se présentèrent pour l’emmener. Depuis l’occupation napoléonienne, c’était par la guillotine que l’Allemagne exécutait ses condamnés de droit commun. Au pied de l’échafaud, l’avocat général relut l’arrêt le condamnant, avant de lui demander s’il avait une ultime déclaration à faire.

« Nein » répondit Kürten, d’une voix blanche mais ferme.

« Monsieur le Bourreau, faites votre office ! » ordonna l’avocat général.

Et quelques minutes plus tard, le bourreau Göppler, son haut de forme à la main, pouvait annoncer à ces Messieurs que le Vampire de Düsseldorf avait cessé de vivre.

1 Plusieurs chiens, un cygne firent les frais de sa frustration.

2 Au cours de l’instruction, Kürten devait, toutefois, et au mépris de toute vraisemblance, se rétracter à deux reprises. Sans que personne ne comprenne bien pourquoi.

3 Dans les années 1923-33, il y avait, en moyenne, 5-6 exécutions par an en Allemagne. Soit, proportionnellement à la population, trois fois moins qu’en France et cinq fois moins qu’en Grande-Bretagne.

4 Klingelpütz est une prison de Cologne où avaient lieu toutes les exécutions en Rhénanie du nord.

Peter Kürten le vampire de Düsseldorf 1929-31 Deuxième partie

Les « jeunes mariés » retournèrent vivre à Düsseldorf, ville que Peter Kürten connaissait comme sa poche. Il s’y employa comme manœuvre dans une usine de la ville tandis que sa femme devint plongeuse, dans un restaurant. Ils se logèrent au 71 de la Mettmannerstrasse, un logement d’une pièce sous les toits, sans sanitaire ni eau courante ni même électricité. Et commença une existence laborieuse et sans joie.

Pendant cinq ans, Peter Kürten vécut à peu près normalement ; à un détail près : il avait développé, sur le tard, un donjuanisme incoercible. Sa femme travaillant au restaurant les soirs et les weekends, Kürten était libre de partir « à la chasse ». Son gibier : les petites boniches et ouvrières qui, dans les bals et les cafés, cherchaient plus ou moins l’aventure.

Loin d’avoir la figure poupine et le regard traqué de son alter ego, l’acteur Peter Lorre, dans M. le Maudit, Peter Kürten avait un physique des plus banals. Son plaisir était de jouer au petit bourgeois, qu’il n’était pas. Toujours habillé avec soin, il se piquait de parler un Allemand précis et correct, un peu pédant même. En tout cas inattendu chez quelqu’un qui avait quitté l’école si tôt.

Ces dames devaient témoigner plus tard que Kürten était un amant pervers et brutal. Mais rien d’illégal à lui reprocher. En 1928 cependant, une employée de maison, nommée Gertrude Mech, vint porter plainte contre lui pour subornation, affirmant ne lui avoir cédé que contre promesse de mariage. Le policier enregistra la plainte en souriant de la naïveté de la demoiselle.

Constatant que le dit Kürten était un repris de justice, le commissaire décida quand même de le convoquer. Et, en examinant ses papiers, le magistrat sursauta : pour se rajeunir auprès de ses conquêtes, Kürten avait, grossièrement, falsifié sa date de naissance ! Faux et usage de faux ! Pour un repris de justice, c’était grave : cinq mois de prison.

Cette condamnation, ressentie comme injuste, fut sans doute l’ « événement déclenchant » de la saga du Vampire de Düsseldorf. Il aurait confié à son camarade de cellule, « Quand je sortirai d’ici, ils verront ce qu’ils verront. Cette ville comprendra sa douleur ! ».

Peu après sa libération, en effet, la nuit du 2 au 3 février 1929, Kürten commit sa première agression, attaquant de dix-huit coups de ciseau  une passante croisée dans la rue, Apollonia Kühn, cinquante cinq ans. Sa victime devait survivre, mais sans pouvoir donner le signalement de l’homme qui l’avait assaillie.

Quelques jours plus tard, le soir du 9 février, Samedi Gras, Kürten croisa une petite fille. Rosa Ohliger, qui s’était perdue en revenant du Carnaval. « Onkel Peter » lui proposa de la ramener. Sans la moindre méfiance, la fillette le suivit, jusque derrière l’église Saint Vincent, alors en construction. Sur le chantier, Kürten étrangla sa victime, qui n’eut pas le temps de se rendre compte de ce qui lui arrivait. Puis, il sortit sa paire de ciseaux et frappa, comme un fou. « Je n’avais jamais autant joui de ma vie, Docteur ! » devait-t-il confier après son arrestation.

Puis, Kürten … alla au cinéma, où il rit aux larmes des facéties de Buster Keaton. Avant de revenir, en pleine nuit, sur les lieux du crime, imbiber le cadavre d’essence et y mettre le feu.

Quelques jours plus tard, le soir du Mardi Gras, le 12 février 1929, il s’en prit à l’ouvrier Rudolf Scheer, tué de plusieurs coups de couteau, alors qu’il rentrait chez lui.

Six mois s’écoulèrent, et ce ne fut que le 11 août 1929, que Peter Kürten frappa à nouveau. Il emmena l’une de ses conquêtes, Maria Hahn, à Pappendelle, à trois kilomètres à l’est de la ville. Et, une fois dans les bois, il l’assomma avant de la frapper à coups de ciseaux. Et de boire, avec délice, le sang qui coulait …

Dans la nuit du 20 au 21 août 1929, rodant autour d’une Kirmes,1 dans le quartier de Lierenfeld il attaqua deux jeunes filles, puis un vieillard, à quelques minutes d’intervalle. Les trois victimes devaient survivre.

Le soir du 24 août, il se rendit dans un autre quartier, à Flehe, où avait lieu aussi une Kirmes. Dans le tintamarre des orgues de barbarie, des détonations de stand de tirs, dans les éclairs et les cris des manèges, Kürten repéra deux petites filles, comme le prédateur qu’il était. Le lendemain on retrouva les cadavres, vidés de leur sang, de Luise Lenzen (13 ans) et Gertrude Hambach (5 ans).

Cette accumulation de meurtres et d’agressions avait fini par plonger la métropole rhénane dans la psychose. Les autorités avaient pourtant mis du temps à s’apercevoir que ces crimes, si différents les uns des autres, étaient tous dus au même Mörder. Mais en 1929, la police scientifique n’avait pas les moyens techniques dont elle dispose maintenant.

Pour compliquer encore les choses, un simple d’esprit, déjà condamné plusieurs fois pour agressions, Johann Stausberg s’était accusé de plusieurs de ces meurtres. Et il fallut plusieurs mois pour prouver qu’il affabulait.

Düsseldorf, si fière de sa prospérité économique et culturelle, abritait donc un horrible monstre parmi son demi-million2 d’habitants … La police en perdait son latin, ce cas était sans précédent dans les annales. Non que le « Vampire de Düsseldorf » soit le premier tueur en série3 de l’Histoire, mais le phénomène était alors très mal connu.

D’ailleurs, comment dessiner le profil du Vampire? Agissant la nuit, il s’en prenait, tantôt aux femmes, tantôt aux enfants, tantôt aux hommes. Parmi les victimes, aucun point commun, ni dans les âges ni dans le physique. Tantôt il les étranglait, tantôt il les tuait à coups de couteau ou de marteau. Souvent, il buvait le sang de ses victimes (d’où son sinistre surnom), mais pas toujours.

Il s’agissait certainement d’un pervers car on avait trouvé des traces d’agressions sexuelles (mais pas de viol stricto sensu) sur ses victimes féminines. Mais alors, pourquoi attaquait-il aussi des hommes ?

A Suivre …

1 C’est ainsi que l’on nomme les fêtes foraines, en Rhénanie.

2 Au 1° janvier 1929, Düsseldorf comptait exactement 480 000 habitants.

3 Si par « tueur en série », on entend « psychopathe qui commet une série s’assassinats sur des inconnus », le phénomène, pour marginal qu’il soit, a existé à toutes les époques. Mais le terme n’a été créé qu’en 1930, par le criminaliste Ernst Gennat, justement dans un article consacré à Peter Kürten. Le terme tomba ensuite dans l’oubli avant d’être repris (ou réinventé ?) en 1970, par l’agent du FBI Robert K. Ressler.

On peut donc considérer Peter Kürten comme le premier tueur en série, en nom (mais pas en fait), de l’Histoire Criminelle.

Peter Kürten, le vampire de Düsseldorf 1929-31. Première Partie

Le célèbre film M le Maudit1 est, de l’avis général, le chef-d’œuvre du cinéaste allemand Fritz Lang. Et l’un des meilleurs films de tous les temps.

Son intrigue est connue: au début des années 1930, un mystérieux assassin d’enfants terrorise la population d’une grande ville allemande. M le Maudit semble insaisissable et la Police, impuissante, multiplie les opérations qui désorganisent le milieu criminel. Ulcérés, les bandits, voleurs, mauvais garçons, prostituées et mendiants, bref, les bas-fonds de la ville, décident de s’associer pour mettre hors d’état de nuire M le Maudit. Ils parviennent, avant la Police, à le repérer, à s’en saisir, lui font un « procès », où ils le condamnent à mort. Mais le Commissaire Lohmann, qui a également retrouvé sa trace, survient, à la dernière minute, pour sauver, et arrêter, M le Maudit.

La chose est moins connue, mais Fritz Lang s’était inspiré, librement, d’un fait-divers qui fascinait alors l’Allemagne, et toute l’Europe : la terrifiante histoire du Vampire de Düsseldorf, de son vrai nom, Peter Kürten. A certes bien des détails près : contrairement à son alter ego cinématographique, le Vampire de Düsseldorf ne s’en prenait pas qu’à des enfants. Il commettait ses crimes avec une témérité tellement folle qu’on pouvait se demander s’il ne souhaitait pas être pris, mais ne fut pourtant pas démasqué par les efforts de la Police, et encore moins ceux de la pègre, mais par le hasard le plus complet. Mais, tout comme M le Maudit, le Vampire de Düsseldorf a plongé, pendant plus d’un an, toute une ville dans une terreur qui confinait à la psychose, voire à l’hystérie.

Né en 1883, Peter Kürten avait dix frères et sœurs et, très vite, il se révéla le vilain petit canard de sa pléthorique fratrie. A neuf ans, il avait déjà commis plusieurs petits larcins. Son père, un ouvrier métallurgiste, le corrigea brutalement, sans pouvoir l’amender. L’adolescent prit l’habitude de fuguer, de plus en plus fréquemment, de plus en plus longtemps, sans que sa famille, plutôt soulagée d’être débarrassée de lui, ne signale sa disparition à la Police.

Ce mauvais sujet alla de petit boulot en petit boulot, multiplia les vols. Les condamnations s’accumulèrent et, en 1899, à seize ans, ce multirécidiviste, écopa d’une peine de prison ferme. C’était la première fois, ce ne devait pas être la dernière.

Relâché, il reprit le cours de sa misérable vie. Kürten, avant d’avoir vingt ans, s’était découvert l’âme d’un sadique, qui aimait faire souffrir ; tant les animaux que les misérables prostituées qu’il fréquentait. Il était également pyromane. L’été, il allait par la campagne, mettre le feu aux meules de foin, voire aux granges. Tout l’excitait : les flammes qui montaient jusqu’au ciel, l’affolement de la population. Confondu parmi la foule des badauds, il jouissait, littéralement, de leur épouvante.

En 1904, l’année de ses vingt et un ans, on l’envoya faire son service militaire à Metz, à l’époque allemande. Il déserta, mais fut vite repris.

Dans l’Allemagne wilhelmienne, on ne plaisantait pas avec la désertion : Peter Kürten, condamné à sept ans de prison, ne fut libéré qu’à l’automne 1912. Beaucoup aurait été brisés par le régime sévère de la détention militaire. Mais pas lui. Habitué depuis toujours à une existence très dure, Peter Kürten s’était forgé l’âme d’un survivor. Il ne manquait pas d’autodiscipline et, contrairement à la plupart des taulards et des marginaux, Kürten mit, toute sa vie, son point d’honneur à rester propre, bien rasé et correctement vêtu. Fondamentalement un solitaire, il évitait autant qu’il pouvait le milieu des autres voleurs et des recéleurs.

Il reprit vite le cycle de ses cambriolages. Le soir du dimanche 25 mai 1913 le trouva, rodant dans les rues de Mülheim (une banlieue de Cologne) à la recherche d’un coup à faire. Il avisa le café Klein, encore éclairé ; il aperçut le patron qui faisait sa caisse, la patronne à sa vaisselle. Une porte, béante, conduisait à leur logement, et il monta l’escalier à pas de loup.

Kürten croyait le logement vide, mais il se trompait. Dans la pénombre, il commençait à ouvrir les tiroirs de la commode. Mais il se retourna brusquement : dans le lit, un enfant, la petite Christine, neuf ans, venait de se réveiller. Le cambrioleur se précipita sur elle, lui mit la main sur la bouche pour l’empêcher de crier. Et, trouvant un couteau, il l’égorgea.

Avec un parfait sang-froid, il redescendit l’escalier se retrouva sur le trottoir pour se rendre, d’un pas vif, mais sans courir, à la gare où il eut la chance de trouver un train pour Düsseldorf qui partait dans la minute.

Quand les Klein, horrifiés, découvrirent le crime, le train roulait déjà.

Kürten ne fut jamais soupçonné, d’autant que l’enquête s’orienta tout de suite dans une fausse direction. La police conclut trop vite que le crime n’avait pu être commis que par un habitué de la maison, qui en connaissait parfaitement les aîtres, ainsi que les habitudes du café Klein. Rien n’avait été volé, et l’affreux crime pouvait être une vengeance.

Or, le cafetier Peter Klein avait un jeune frère, Otto, apprenti boucher, et très mauvais sujet. Plusieurs fois, les deux frères en étaient venus aux mains, et on avait entendu Otto proférer des menaces … En outre, la petite Christine avait été égorgée « proprement », ce qui dénotait un minimum d’expérience dans le maniement du couteau.

Malgré ses dénégations furieuses, le jeune Otto fut arrêté même si, à son procès, on dut l’acquitter, faute de preuve2.

Peter Kürten, entre temps arrêté à Düsseldorf pour cambriolage, recel, vols avec violence, était retourné en prison pour huit ans, peine qu’il alla purger à Brieg3, en Silésie. S’il échappa aux combats de 14-18, Kürten eut à souffrir abominablement de la faim. La prison était surpeuplée, l’approvisionnement, lamentable. Lors de l’instruction, il raconta qu’ils étaient une vingtaine dans une chambrée de six. Quand un de leurs camarades mourrait, ils le signalaient le plus tard possible, pour pouvoir continuer à percevoir une ration de plus. Et, en huit ans, il ne reçut pas une seule visite.

En 1921, on le relâcha. Sans trop savoir quoi faire ni où aller, Kürten décida de se rendre chez l’une de ses nombreuses sœurs, Sybille, qui habitait Altenburg, en Thuringe. Celle-ci n’avait pas revu son frère depuis plus de dix ans, et ne l’accueillit pas à bras ouverts. En ces temps très durs, une bouche à nourrir supplémentaire n’était jamais la bienvenue. Et elle savait bien que son frère avait mal tourné.

Peter lui raconta sortir, non pas de prison mais d’un camp de prisonniers de guerre, en Russie. Sarcastique, sa sœur lui fit remarquer que la guerre était terminée depuis trois ans. Kürten évoqua vaguement, les troubles de la Révolution et de la Guerre Civile. Et promit de ne pas s’attarder plus de quelques mois, le temps de retrouver un travail. Sa sœur finit par accepter, sans enthousiasme.

A Altenburg, Peter Kürten fit connaissance de sa future femme, Augusta Scharf. Contrairement à lui, elle venait d’un milieu assez aisé (son père était maitre tailleur, en Silésie), et avait eu une enfance, sinon heureuse, du moins favorisée. Mais elle avait, comme lui, un passé criminel. En 1910, « Gustchen » avait tué à coups de revolver son « fiancé », qui venait de lui avouer qu’il allait se marier avec une autre qu’elle.

Les juges l’avaient condamnée à cinq ans de prison. De cette expérience malheureuse, Augusta devait conserver sa vie durant un besoin masochiste d’expiation.

Elle avait été libérée en 1915, en pleine guerre ; il fallait bien vivre. Presque tous les hommes étant au Front, les possibilités d’emploi ne manquaient pas pour les femmes, quand bien même elles avaient un casier judiciaire. Elle trouva un travail dans une sucrerie, à Altenburg, où personne ne la connaissait.

Kürten fit de brutales avances à Augusta, qui avait pourtant dépassé la quarantaine et que sa vie de labeur et de galères n’avait pas rendue particulièrement séduisante. Celle-ci expliqua plus tard s’être sentie, en même temps, rebutée et attirée par lui ; elle accepta, finalement, de l’épouser, en mars 1923.

1 Le titre original allemand est M. Eine Stadt sucht einen Mörder soit Une ville recherche un assassin.

2 Même acquitté, Otto Klein restait coupable aux yeux de l’opinion publique et, à plusieurs reprises, la Police dut le protéger de la fureur de la foule. Soucieux de se racheter, le jeune homme s’engagea volontaire, à la Déclaration de Guerre et tomba, en 1915, sur le Front Russe.

3 Comme toute la Silésie, Brieg (aujourd’hui Brzeg) est devenu polonais, en 1945.