Les « jeunes mariés » retournèrent vivre à Düsseldorf, ville que Peter Kürten connaissait comme sa poche. Il s’y employa comme manœuvre dans une usine de la ville tandis que sa femme devint plongeuse, dans un restaurant. Ils se logèrent au 71 de la Mettmannerstrasse, un logement d’une pièce sous les toits, sans sanitaire ni eau courante ni même électricité. Et commença une existence laborieuse et sans joie.
Pendant cinq ans, Peter Kürten vécut à peu près normalement ; à un détail près : il avait développé, sur le tard, un donjuanisme incoercible. Sa femme travaillant au restaurant les soirs et les weekends, Kürten était libre de partir « à la chasse ». Son gibier : les petites boniches et ouvrières qui, dans les bals et les cafés, cherchaient plus ou moins l’aventure.
Loin d’avoir la figure poupine et le regard traqué de son alter ego, l’acteur Peter Lorre, dans M. le Maudit, Peter Kürten avait un physique des plus banals. Son plaisir était de jouer au petit bourgeois, qu’il n’était pas. Toujours habillé avec soin, il se piquait de parler un Allemand précis et correct, un peu pédant même. En tout cas inattendu chez quelqu’un qui avait quitté l’école si tôt.
Ces dames devaient témoigner plus tard que Kürten était un amant pervers et brutal. Mais rien d’illégal à lui reprocher. En 1928 cependant, une employée de maison, nommée Gertrude Mech, vint porter plainte contre lui pour subornation, affirmant ne lui avoir cédé que contre promesse de mariage. Le policier enregistra la plainte en souriant de la naïveté de la demoiselle.
Constatant que le dit Kürten était un repris de justice, le commissaire décida quand même de le convoquer. Et, en examinant ses papiers, le magistrat sursauta : pour se rajeunir auprès de ses conquêtes, Kürten avait, grossièrement, falsifié sa date de naissance ! Faux et usage de faux ! Pour un repris de justice, c’était grave : cinq mois de prison.
Cette condamnation, ressentie comme injuste, fut sans doute l’ « événement déclenchant » de la saga du Vampire de Düsseldorf. Il aurait confié à son camarade de cellule, « Quand je sortirai d’ici, ils verront ce qu’ils verront. Cette ville comprendra sa douleur ! ».
Peu après sa libération, en effet, la nuit du 2 au 3 février 1929, Kürten commit sa première agression, attaquant de dix-huit coups de ciseau une passante croisée dans la rue, Apollonia Kühn, cinquante cinq ans. Sa victime devait survivre, mais sans pouvoir donner le signalement de l’homme qui l’avait assaillie.
Quelques jours plus tard, le soir du 9 février, Samedi Gras, Kürten croisa une petite fille. Rosa Ohliger, qui s’était perdue en revenant du Carnaval. « Onkel Peter » lui proposa de la ramener. Sans la moindre méfiance, la fillette le suivit, jusque derrière l’église Saint Vincent, alors en construction. Sur le chantier, Kürten étrangla sa victime, qui n’eut pas le temps de se rendre compte de ce qui lui arrivait. Puis, il sortit sa paire de ciseaux et frappa, comme un fou. « Je n’avais jamais autant joui de ma vie, Docteur ! » devait-t-il confier après son arrestation.
Puis, Kürten … alla au cinéma, où il rit aux larmes des facéties de Buster Keaton. Avant de revenir, en pleine nuit, sur les lieux du crime, imbiber le cadavre d’essence et y mettre le feu.
Quelques jours plus tard, le soir du Mardi Gras, le 12 février 1929, il s’en prit à l’ouvrier Rudolf Scheer, tué de plusieurs coups de couteau, alors qu’il rentrait chez lui.
Six mois s’écoulèrent, et ce ne fut que le 11 août 1929, que Peter Kürten frappa à nouveau. Il emmena l’une de ses conquêtes, Maria Hahn, à Pappendelle, à trois kilomètres à l’est de la ville. Et, une fois dans les bois, il l’assomma avant de la frapper à coups de ciseaux. Et de boire, avec délice, le sang qui coulait …
Dans la nuit du 20 au 21 août 1929, rodant autour d’une Kirmes,1 dans le quartier de Lierenfeld il attaqua deux jeunes filles, puis un vieillard, à quelques minutes d’intervalle. Les trois victimes devaient survivre.
Le soir du 24 août, il se rendit dans un autre quartier, à Flehe, où avait lieu aussi une Kirmes. Dans le tintamarre des orgues de barbarie, des détonations de stand de tirs, dans les éclairs et les cris des manèges, Kürten repéra deux petites filles, comme le prédateur qu’il était. Le lendemain on retrouva les cadavres, vidés de leur sang, de Luise Lenzen (13 ans) et Gertrude Hambach (5 ans).
Cette accumulation de meurtres et d’agressions avait fini par plonger la métropole rhénane dans la psychose. Les autorités avaient pourtant mis du temps à s’apercevoir que ces crimes, si différents les uns des autres, étaient tous dus au même Mörder. Mais en 1929, la police scientifique n’avait pas les moyens techniques dont elle dispose maintenant.
Pour compliquer encore les choses, un simple d’esprit, déjà condamné plusieurs fois pour agressions, Johann Stausberg s’était accusé de plusieurs de ces meurtres. Et il fallut plusieurs mois pour prouver qu’il affabulait.
Düsseldorf, si fière de sa prospérité économique et culturelle, abritait donc un horrible monstre parmi son demi-million2 d’habitants … La police en perdait son latin, ce cas était sans précédent dans les annales. Non que le « Vampire de Düsseldorf » soit le premier tueur en série3 de l’Histoire, mais le phénomène était alors très mal connu.
D’ailleurs, comment dessiner le profil du Vampire? Agissant la nuit, il s’en prenait, tantôt aux femmes, tantôt aux enfants, tantôt aux hommes. Parmi les victimes, aucun point commun, ni dans les âges ni dans le physique. Tantôt il les étranglait, tantôt il les tuait à coups de couteau ou de marteau. Souvent, il buvait le sang de ses victimes (d’où son sinistre surnom), mais pas toujours.
Il s’agissait certainement d’un pervers car on avait trouvé des traces d’agressions sexuelles (mais pas de viol stricto sensu) sur ses victimes féminines. Mais alors, pourquoi attaquait-il aussi des hommes ?
A Suivre …
1 C’est ainsi que l’on nomme les fêtes foraines, en Rhénanie.
2 Au 1° janvier 1929, Düsseldorf comptait exactement 480 000 habitants.
3 Si par « tueur en série », on entend « psychopathe qui commet une série s’assassinats sur des inconnus », le phénomène, pour marginal qu’il soit, a existé à toutes les époques. Mais le terme n’a été créé qu’en 1930, par le criminaliste Ernst Gennat, justement dans un article consacré à Peter Kürten. Le terme tomba ensuite dans l’oubli avant d’être repris (ou réinventé ?) en 1970, par l’agent du FBI Robert K. Ressler.
On peut donc considérer Peter Kürten comme le premier tueur en série, en nom (mais pas en fait), de l’Histoire Criminelle.