Le 25 août, à Oberkassel, sur la rive gauche du Rhin, le Vampire s’en prit à Gertrude Schulte, une bonne de vingt-six ans. Mais, entendant des passants, il s’enfuit avant de l’avoir tuée.
Malheureusement pour l’enquête, la jeune domestique fit de son agresseur une description des plus fantaisistes, parlant d’un frêle blondinet de vingt, vingt-cinq ans. Alors que Peter Kürten, qu’elle avait pourtant vu de près, était un quadragénaire plutôt trapu aux cheveux châtain. Mieux (ou pire) : quand, sur son lit d’hôpital, on présenta à Gertrude Schulte la photo de Kürten, parmi celles de dizaines d’autres repris de justice, elle ne le reconnut pas.
Comme dans le film de Fritz Lang, la Police travaillait avec l’énergie du désespoir, multipliant contrôle et rafles. Peter Kürten fut plusieurs fois interrogé, mais ses papiers étaient parfaitement en règle. Et son aspect bourgeois et correct détourna les soupçons.
Kürten, comme tous les tueurs en série, vivait des « crises » où il commettait plusieurs agressions en l’espace de quelques jours, voire de quelques heures ; quand il n’avait pas trouvé de victimes humaines, il s’en prenait parfois à un animal1 pour satisfaire ses pulsions. Mais ces périodes de « crises » alternaient avec des pauses qui pouvaient durer plusieurs mois.
Ainsi, après une pause de quelques semaines, la kyrielle des victimes reprit. Le 29 septembre, ce fut la domestique Ida Reuter, égorgée. A l’aube du 11 octobre, le gardien d’un square trouva le corps, horriblement blessé, d’Elisabeth Dörrier, une semi clocharde qui se prostituait, occasionnellement. Elle mourut vingt quatre heures après avoir été recueillie à l’hôpital. Le 25 octobre, double attaque de Hubertine Meurer et de Klara Wanders, deux prostituées, qui survivront.
Et, le 7 novembre 1929, Kürten tua une petite fille, Gertrud Albermann, dont il déposa le corps sur le terrain vague qui longe l’usine Haniel & Lueg. Incroyablement, trois personnes différentes l’avait aperçu emmener la petite en la tenant par la main. Sans que personne n’intervienne. « La petite souriait, et lui avait tant l’air d’un citoyen comme il faut … »
Même si ce n’était pas forcément sa motivation première, Kürten appréciait énormément la publicité (anonyme), la psychose qu’il avait déclenchée. Au point qu’à partir du 9 novembre 1929, le Vampire de Düsseldorf cessa de faire des victimes : la petite Albermann devait être la dernière de la série. La brusque interruption déconcerta les autorités et ne fit qu’accroitre l’angoisse la population.
Mais que toute la ville ait peur de lui, qu’il soit question du Vampire dans tous les journaux d’Europe suffisait désormais à satisfaire ses besoins morbides. Adorant tenter le diable, Peter Kürten envoyait régulièrement des lettres anonymes aux journaux, à la police, donnant des détails ignorés des enquêteurs eux-mêmes, indiquant même où il avait laissé les cadavres … Mais, à sa grande frustration, ses lettres passèrent inaperçues dans le fatras de 11 000 lettres et dénonciations que l’affaire généra.
Le Vampire de Düsseldorf n’aurait sans doute jamais été pris, serait resté un autre Jack l’Eventreur de l’Histoire Criminelle, sans une incroyable cascade d’absurdités et de hasards.
Ayant repris sa carrière de dragueur compulsif, Peter Kürten jeta, le 7 mai 1930, son dévolu sur une certaine Maria Budlich, une petite bonne, débarquée de sa campagne à la recherche d’une place. Il l’emmena dans sa mansarde de la Mettmannerstrasse, en l’absence de sa femme. Il la brutalisa et, pour s’amuser à lui faire peur, lui dit d’une voix terrible : « Le Vampire que recherche toute la ville c’est moi ! Mais n’en dis pas un mot à personne, ou je te coupe le cou ! » La petite bonne, acquiesça terrifiée.
La naïve Maria était bien trop épouvantée pour s’adresser à la Police. Elle ne put toutefois pas s’empêcher d’écrire ce qui s’était passé à sa meilleure amie. Mais comme elle avait mal orthographié l’adresse, la lettre resta à la poste, où on l’ouvrit. Et le brave fonctionnaire qui la lut s’empressa de porter la lettre à la Police. Ces messieurs l’accueillirent avec scepticisme : ils avaient déjà suivi tant de fausses pistes, et celle-ci ne leur paraissait guère sérieuse … Enfin, ils vérifièrent. Maria Budlich ayant retrouvé, non sans peine, l’immeuble de la Mettmannerstrasse et la mansarde où on l’avait emmenée, la Police se contenta de laisser au locataire une convocation (qui n’était même pas nominale …) à se rendre au commissariat.
En la trouvant, Kürten comprit qu’on était, enfin, sur ses traces. Il avoua tout à sa femme, médusée. Puis, il partit, annonçant qu’il allait se jeter dans le Rhin.
En fait, il passa deux jours à errer dans la ville. Et, l’après-midi du 25 mai 1930, il se laissa passivement arrêter, presque soulagé.
Kürten ne fit aucune difficulté à tout avouer2. Au contraire, il se vanta d’avoir commis plus de 80 assassinats, le premier dès l’âge de 9 ans … Mais seuls neufs assassinats (celui de la petite Christine Klein, qui remontait à 1913, et les huit victimes de l’année 1929), sans compter une vingtaine d’agressions, purent lui être attribués, sans risque d’erreur. Les psychiatres l’interrogèrent longuement, et conclurent à son entière responsabilité pénale. Kürten était certainement un pervers, amoral et totalement dépourvu d’empathie. Mais, étonnement intelligent, il était très maitre de lui-même et, face au risque d’être pris, il avait montré un sang-froid parfait.
Le procès, du 13 au 22 avril 1931, attira des journalistes du monde entier. L’accusé, qui appréciait beaucoup son rôle de vedette du crime, ne réclamait pas l’indulgence : « Les crimes que j’ai commis sont si atroces, ils me font tellement honte que je n’ose pas les excuser, de quelque manière que ce soit … Les experts n’ont pas à perdre de temps avec moi. J’ai mon libre arbitre, comme tout un chacun… Je sais bien que c’est la peine de mort qui m’attend. Je ne m’en plains pas. » Kürten prenait d’ailleurs un tel plaisir indécent à détailler ses crimes, en rajoutant encore dans l’horreur, qu’on dut, plusieurs fois, le faire taire.
Le jury rendit, comme on s’y attendait, un verdict de mort. L’Allemagne de Weimar appliquait beaucoup moins la peine de mort que la France ou la Grande Bretagne de la même époque3. Mais Kürten renonça à faire appel et une grâce n’était pas envisageable. Le 1° juillet 1931 à 17 heures, dans sa cellule de Klingelpütz4, l’ex Vampire de Düsseldorf apprit qu’il n’avait plus que douze heures à vivre. Se découvrant, in extremis, un intérêt pour la Religion, il fit venir le Père Albrecht, un franciscain qu’il avait connu aumônier à la prison de Düsseldorf, pour assister ses derniers instants.
Il dîna de bon appétit et, durant la nuit, rédigea une dizaine de lettres. Pour sa femme ; mais aussi pour les familles de ses victimes, des lettres de quelques lignes pour exprimer son repentir, et leur demander de prier pour lui. Il n’est guère possible de déterminer dans quelle mesure Kürten était sincère, dans quelle mesure ces lignes ont été inspirées, voire dictées, par l’aumônier.
A cinq heures du matin, il assista à la Messe. Trente minutes plus tard, une demi-douzaine d’homme, en redingote et en haut de forme, se présentèrent pour l’emmener. Depuis l’occupation napoléonienne, c’était par la guillotine que l’Allemagne exécutait ses condamnés de droit commun. Au pied de l’échafaud, l’avocat général relut l’arrêt le condamnant, avant de lui demander s’il avait une ultime déclaration à faire.
« Nein » répondit Kürten, d’une voix blanche mais ferme.
« Monsieur le Bourreau, faites votre office ! » ordonna l’avocat général.
Et quelques minutes plus tard, le bourreau Göppler, son haut de forme à la main, pouvait annoncer à ces Messieurs que le Vampire de Düsseldorf avait cessé de vivre.
1 Plusieurs chiens, un cygne firent les frais de sa frustration.
2 Au cours de l’instruction, Kürten devait, toutefois, et au mépris de toute vraisemblance, se rétracter à deux reprises. Sans que personne ne comprenne bien pourquoi.
3 Dans les années 1923-33, il y avait, en moyenne, 5-6 exécutions par an en Allemagne. Soit, proportionnellement à la population, trois fois moins qu’en France et cinq fois moins qu’en Grande-Bretagne.
4 Klingelpütz est une prison de Cologne où avaient lieu toutes les exécutions en Rhénanie du nord.